Appel à contribution pour la revue Itinéraires : dossier “Publier la littérature”

Date limite de dépôt : 15 septembre 2021


Argumentaire 

Ce que plusieurs chercheurs et chercheuses ont appelé « la littérature hors du livre » (Rosenthal et Ruffel 2010 et 2018) occasionne aujourd’hui des changements profonds à l’idée même de « littérature », dans la mesure où l’on considère que celle-ci peut très bien être produite, publiée et reçue dans des contextes qui lui confèrent des parentés troublantes avec les arts de la performance. Outre qu’elle demande de nouvelles collaborations entre certaines disciplines (en particulier les études littéraires et théâtrales), la situation contemporaine permet peut-être de voir que ces liens existaient déjà par le passé, et invite par là à réévaluer la dimension performative de la littérature des siècles précédents. C’est ce double regard sur le présent et le passé, même très ancien, que ce dossier entend engager, dans une ouverture sur toutes les littératures. 

Les formes d’« écritures » contemporaines débordent largement le périmètre de ce qu’on appelle la « littérature ». Celle-ci excède parfois les limites posées en son temps par Nelson Goodman ([1968] 2011) : art à une phase (celle de son écriture), de régime allographique (qu’on ne peut pas contrefaire), dont l’« exécution » (l’écriture) précède toujours l’« implémentation » (sa publication et sa lecture). Autrement dit, la manière dont les textes « entre[nt] dans la culture » (Goodman [1984] 2009) gagne à être réinterrogée. De fait, l’« œuvre » de l’écrivain·e peut être « manifestée » – diversement – par des « objets » (Genette [1994] 2010) autres que le livre. La question de la publication gagne ainsi à être abordée dans son acception la plus large possible, comme la rencontre potentielle ou actualisée d’une œuvre (ou d’une partie de l’œuvre) avec un public. Celle-ci n’est pas nécessairement livresque, mais peut aussi intervenir via l’enregistrement, l’exposition ou la performance, par exemple. 

En ce qui concerne le contemporain, cette diversification des manières de publier – collages numériques, performances, podcasts, tags, etc. – est sans doute moins le signe d’une rupture avec le livre que celui d’une prise en considération de ses limites. Elle témoigne peut-être aussi d’une remise en question de la compréhension de l’activité littéraire comme système clos sur lui-même. Elle se comprend enfin, pour partie, à l’aune de la situation économique des divers auteurs et autrices, en concurrence ou en accompagnement des stratégies médiatiques et publicitaires des entreprises et des institutions. Même si ces pratiques de publication peuvent sembler nouvelles dans leur ampleur, il s’agit de prêter attention aux très nombreux précédents que l’histoire recèle : affiches, chansons, inscriptions urbaines, tracts, etc. On songera en outre aux nombreux espaces de socialisation dont la littérature a disposé par le passé, des salons aux clubs de lecture, en passant par la radio. Idéalement, la considération des pratiques littéraires contemporaines permettrait de faire retour sur des pratiques littéraires plus anciennes et réciproquement sur des pratiques « non littéraires ». 

On pourra se demander dans quelle mesure ces autres manières de publier les textes ressortissent, aujourd’hui et hier, à ce qu’on pourrait appeler le « faire littérature » (Abrecht et alii, 2019). Mais notre attention se portera en priorité sur les manières dont les diverses publications de l’œuvre fonctionnent auprès du public (y compris auprès du lectorat classique). Les reconfigurations de l’œuvre en tant qu’elle n’est plus nécessairement produite en amont et reçue en aval de la publication pourraient ainsi faire l’objet d’un commentaire, de la même manière que les figures d’auteur, d’éditeur et de public qui, selon les modalités, ne sont pas nécessairement distinctes. Quels dispositifs une telle publication agence-t-elle ? Comment les productions littéraires étudiées anticipent-elles des prolongements possibles et leurs réceptions effectives ? 

Cette investigation pourra donc se déployer sur trois plans indépendants, mais qu’il serait bienvenu de conjoindre. Il s’agira d’abord d’envisager la publication en lien avec des pratiques expérimentales ou exploratoires, notamment, qui invitent parfois à reconsidérer la popularisation des productions littéraires et leurs fonctions sociales. Une ouverture sur les héritages contemporains et les précédents historiques des pratiques étudiées rencontrera ensuite l’ambition transhistorique du numéro. L’analyse de ces pratiques de publication « hors du livre » devrait enfin permettre de réévaluer les raisons matérielles (économiques, stratégiques) qui poussent parfois des auteurs et autrices (ou des entreprises et institutions) à renoncer au livre, mais à s’en réapproprier aussi les codes sur un autre support (comme le numérique), ou à s’engager dans la voie de l’autoédition. 

Ainsi les axes privilégiés seront les suivants : 

  • Formes expérimentales de la publication 
  • Perspective transhistorique sur des pratiques contemporaines et anciennes 
  • Réflexions autour du support de publication et des stratégies auxquelles il répond 
  • Réception des formes de publication non livresques 
  • Nouveaux rapports entre auteur, éditeur et lecteur 

D’autres directions ne sont toutefois pas exclues a priori : dans ce cas, merci de prendre contact avec les directeurs·rices du numéro. 

Une première version complètement rédigée des articles est attendue pour le 15 septembre 2021. Il ne faut pas hésiter à prendre contact avec les directeurs·rices du numéro au préalable pour s’assurer de la pertinence de la proposition ou pour discuter de son orientation. Les articles définitifs seront à rendre pour la mi-janvier 2022 et seront évalués en double aveugle, selon les modalités habituellement suivies par la revue. Merci de faire parvenir la première version des articles aux trois co-directeur·ice·s du numéro : francois.demont@unil.chromain.bionda@fabula.org ; mathilde.zbaeren@unil.ch 

Calendrier 

Date limite de soumission des articles (version 1) : 15 septembre 2021 

Date de retour des articles finalisés : 15 janvier 2022 

Orientations bibliographiques 

Abrecht Delphine, Bionda Romain, Demont François, Sermier Émilien et Zbaeren Mathilde, « Faire littérature », dans id. et aliiFaire littérature. Usages et pratiques du littéraire (xixexxie siècles), Lausanne, Archipel, 2019, p. 517. 

Aron Paul et Viala Alain, L’Enseignement littéraire, Paris, PUF, 2005. 

Barras Ambroise et Eigenmann Éric (dir.), Textes en performance, Genève, MetisPresses, 2006. 

Bionda Romain, « Théâtre ou littérature ? Sur le fonctionnement artistique et opéral des textes de théâtre », dans Atelier de théorie littéraire, en ligne sur Fabula, 2018 : http://www.fabula.org/atelier.php?Theatre_ou_litterature

Bricco Elisa (dir.), Le Bal des arts. Le sujet et l’image : écrire avec l’art, Macerata, Quodlibet, 2015. Disponible en ligne : https://books.openedition.org/quodlibet/443

Butor Michel, « La littérature, l’oreille et l’œil » (1968), Répertoire III, Paris, Minuit, 1968, p. 391-403. 

Calderone Amélie, Entre la scène et le livre. Formes dramatiques publiées dans la presse à l’époque romantique (1829-1851), thèse sous la direction d’Olivier Bara, U. Lumière Lyon II, 2015. 

Chartier Roger (dir.), Pratiques de lecture (1985), Paris, Payot & Rivages, 2003. 

Id. et Cavallo Guglielmo (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental (1995), Paris, Seuil, 2001. 

Dewey John, L’Art comme expérience (1934), trad. Jean-Pierre Cometti (dir.) et alii, Paris, Gallimard, 2005. Titre original : Art as Experience

Dubois Jacques, L’Institution de la littérature, introduction à une sociologie, Bruxelles, Labor, 1978. 

Dupont Florence, L’Invention de la littérature. De l’ivresse grecque au texte latin, Paris, La Découverte, 1994. 

Ducas Sylvie, La Littérature, à quel(s) prix ? Histoire des prix littéraires, Paris, La Découverte, 2013. 

Ferry Ariane et Naugrette Florence (dir.), Le Texte de théâtre et ses PublicsRevue d’histoire du théâtre, n° 245-246, 2010. 

Gefen Alexandre, L’Idée de littérature. De l’art pour l’art aux écritures d’intervention, Paris, José Corti, 2021.  

Genette Gérard, L’Œuvre de l’artImmanence et transcendance (1994). La Relation esthétique (1997), 2nde éd., Paris, Seuil, 2010. 

Goodman Nelson, Langages de l’art. Une approche de la théorie des symboles (1968, 1976), trad. Jacques Morizot (1990), Paris, Arthème Fayard, 2011. Titre original : Languages of Art. An Approach to a Theory of Symbols. 

Id.L’Art en théorie et en action (1984), trad. JeanPierre Cometti et Roger Pouivet (1996), Paris, Gallimard, 2009. Il s’agit des deux premiers chapitres d’Of Mind and Other Matters

Goulet Alain (dir.), Le Littéraire, qu’est-ce que c’est ?, Caen, PUC, 2001. 

Hanna Christophe, Nos dispositifs poétiques, Paris, Questions théoriques, 2010. 

Hirshi Stéphane, Legoy Corinne, Linarès Serge, Saemmer Alexandra et Vaillant Alain (dir.), La Poésie délivrée, Paris, PU de Paris Nanterre, 2017. 

Houdart-Merot Violaine et Petitjean Anne-Marie (dir.), Écritures créatives et Processus de créationLes Cahiers d’Agora, n° 1, s.d. [2018] : https://www.u-cergy.fr/fr/laboratoires/agora/cahiers-d-agora/numero-1.html 

Jey Martine et Perret Laetitia (dir.), L’Idée de littérature dans l’enseignement, Paris, Classiques Garnier, 2019. 

Joinnault Brigitte, Antoine Vitez : la mise en scène des textes non dramatiques. Théâtre-document, théâtre-récit, théâtre-musique, Paris, Max Milo et l’Entretemps, 2018. 

Laisney Vincent, En lisant en écoutant, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2017. 

Maingueneau Dominique, Contre Saint Proust ou la Fin de la littérature, Paris, Belin, 2006. 

McKenzie Donald Francis, La Bibliographie et la Sociologie des textes (1986), trad. Marc Amfreville, Paris, Cercle de la Librairie, 1991. Titre original : Bibliography and the Sociology of Texts. 

Meizoz Jérôme, Faire l’auteur en régime néo-libéral. Rudiments de marketing littéraire, Genève, Slatkine, 2020. 

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Naudier Delphine, « Orchestrer la visibilité des écrivaines et des écrivains en France. Le “capital réputationnel” des attachées de presse », dans Recherches féministes, vol. 24, n° 1, Sans livres mais pas sans lettres : renouveler l’histoire des pratiques d’écriture des femmes, dir. Chantal Savoie et Marie-José des Rivières, 2011, p. 175-191. Disponible en ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/rf/2011-v24-n1-rf5003448/1006085ar/

Plana Muriel, Roman, théâtre, cinéma au xxe siècle. Adaptation, hybridation et dialogue des arts, Paris, Bréal, 2014. 

Reinelt Janelle, « La politique du discours : performativité et théâtralité » (2002), trad. Virginie Magnat et Marc Boucher, dans Théâtre/Public, n° 205, Entre deux. Du théâtral et du performatif, dir. Josette Féral, 2012, p. 12-21. 

Rosenthal Olivia et Ruffel Lionel (dir.), La littérature exposée 2Littérature, n° 192, 2018 ; également en ligne : https://www.cairn.info/revue-litterature-2018-4.htm

Id. (dir.), La Littérature exposée. Les écritures contemporaines hors du livreLittérature, n° 160, 2010 ; également en ligne : https://www.cairn.info/revue-litterature-2010-4-page-3.htm

Sermon Julie et Chapuis Yvane (dir.), Partition(s). Objets et concept des pratiques scéniques (20e et 21e siècles), Paris, Les Presses du réel, 2016. 

Souriau Étienne-Émile, Les Différents Modes d’existence (1943), éd. Isabelle Stengers et Bruno Latour (2009), Paris, PUF, 2018. 

Stone Peters Julie, Theatre of the Book: 1480-1880. Print, Text, and Performance in Europe, New York, Oxford UP, 2000.  

Tackels Bruno, Les Écritures de plateau. État des lieux, Paris, Les Solitaires intempestifs, 2015. 

Théval Gaëlle, « Non-littérature ? », dans Itinéraires. Littérature, textes, cultures, n° 2017-3, Littératures expérimentales. Écrire, performer, créer à l’ère numérique, dir. Magali Nachtergael, en ligne, 2018 : https://journals.openedition.org/itineraires/3900

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Todorov Tzvetan, La Notion de littérature. Et autres essais, Paris, Seuil, 1987. 

Viard Bruno, « Restaurer la transitivité de la littérature », dans Claude Pérez et Jean-Raymond Fanlo (dir.), Enseigner la littérature à l’université aujourd’hui, Fabula, Colloques en ligne, 2011 : https://www.fabula.org:443/colloques/document1496.php  

Vouilloux Bernard, « Du dispositif », dans Philippe Ortel (dir.), Discours, image, dispositif. Penser la représentation II, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 15-31. 

Id.Langages de l’art et Relations transesthétiques, Paris, L’éclat, 1997. 

Zenetti Marie-Jeanne, Factographies. L’enregistrement littéraire à l’époque contemporaine, Paris, Classiques Garnier, « Littérature, histoire, politique », 2014. 

Zumthor Paul, Performance, réception, lecture, Longueuil, Le Préambule, 1990.