Trouble dans la cartographie Contre-cartographie et changements de paradigmes

DATE LIMITE DE SOUMISSION : 1ER DÉCEMBRE 2025

RÉSUMÉ

La cartographie est intimement liée à l’exercice du pouvoir. Adoptée par les empires, les Églises, les grandes compagnies commerciales ou les États, elle a été une modalité de la mainmise sur les territoires et les espaces. À grande échelle, les cartographes devaient recenser les terres agricoles, à petite échelle, les routes, les villes et les côtes et la sémiologie était déterminée en fonction de ce qui avait de l’importance pour la spéculation ou l’extractivisme. Aujourd’hui, sous les multiples couches des cartes techniques que produit la géomatique, se révèlent les préoccupations prioritaires des administrations : les réseaux, les droits de propriété, ce qui peut être aménagé, ce qui doit être protégé.

Dans l’univers académique, la cartographie a fait l’objet d’une codification et d’une standardisation de plus en plus pointilleuses, aboutissant à une sémiologie de plus en plus étroite. Des classes primaires jusqu’aux formations des ingénieur·es, un protocole d’apprentissage inculque le sens de ce qui est important et mérite d’être cartographié selon des ordres hiérarchiques convenus. Au xxie siècle, les processus de digitalisation et l’économie de plateformes ont fait entrer l’humanité connectée dans de multiples cartes où les individus produisent en continu des informations qui permettent non seulement de qualifier mais aussi de donner de la valeur aux lieux. Désormais se pose la question du sens de cette nouvelle cartographie géolocalisée, permanente et standardisée au point d’accompagner chaque action au profit de nouveaux opérateurs privés qui marchandisent tout aussi bien les déplacements que les goûts et les envies. Ces nouvelles cartes ne sont plus de simples outils de la prise de décision ; elles assistent, guident, voire contrôlent, les usagères et usagers via des algorithmes de plus en plus sophistiqués.

Les cartes soutiennent les opérations de la grande transformation du monde au mépris des effets des projets d’infrastructures sur ce qui existe déjà, autant sur le vivant, humain et non-humain, que sur l’environnement. Cette violence cartographique se lit, a contrario, également dans le déni de ce qui n’est pas représenté sur les cartes officielles et qui pose la question profonde de la « reconnaissance » cartographique.

La déconstruction des cartes a mis au jour les enjeux de pouvoir qui sous-tendent la cartographie et le milieu académique interroge aujourd’hui la production et le recours aux cartes avec une prudence critique. Or, avec les Systèmes d’Information Géographique (SIG) et la dématérialisation numérique, la géovisualisation a pris le pas sur la cartographie et ce sont désormais les « data » qui sont au cœur du processus de création et d’analyse. La maintenance des banques de données occupe l’essentiel du temps des géomaticien·nes et le traitement graphique de leur travail se fait via des logiciels simplifiés qui appauvrissent largement la sémiologie cartographique au nom d’un processus continu de rationalisation et de fonctionnalisation. Les professionnel·les subissent à la fois une embolie des données cartographiques et un émiettement des connaissances géographiques qui impactent jusqu’à la validation des décisions politiques des administrations territoriales.

Le besoin d’une nouvelle cartographie se fait sentir et pose alors la question de l’intérêt général. Dans de nombreux domaines la représentation du territoire et de problèmes et enjeux à travers la cartographie se doit en effet d’impliquer toutes les actrices et acteurs de la cité afin de contribuer à une intelligibilité et à une décision motivée et partagée.. La démocratisation des techniques cartographiques et l’ouverture des données autour des nouveaux géocommuns numériques doivent ainsi contribuer à des pratiques partagées, qui concernent tout autant la recherche en sciences humaines et sociales que la société civile.